2019 entame déjà son deuxième mois, mais je n’ai pas encore « guidé » cette année. Depuis trois semaines que je traine dans les Alpes du Sud, j’ai eu l’occasion de faire plusieurs coupes du manteau neigeux, pour en constater sa dangerosité. Du gobelets, ces fameux cristaux de glace qui n’autorisent aucune fixation les uns les autres. Une neige sans consistance, une couche « fragile ».
Ce weekend du 9-10 février marque la reprise de service : une collective à la Tournette, via notre bureau des guides d’Annecy. La météo est moyenne, le bulletin nivologique ressemble, comme souvent au plein coeur de l’hiver, à une réponse de normand à la question, toujours la même, d’évaluer la solidité du manteau neigeux. Ce risque 3, marqué, qui dit tout et rien. Il dit surtout qu’il faut garder le doute, sans cesse. Notamment là-haut, dans cette pente terminale qui dépasse les 30°.
Je retrouve le groupe à Thônes, et nous montons sous la pluie jusqu’au parking. Petite lecture collective du BERA (Bulletin d’estimation des risques d’avalanche) afin de partager la connaissance, faire prendre conscience que cette décision qu’il faudra peut-être prendre au moment venu sera partagée. Partagée dans l’esprit de pratique, dans cette unité du mode d’agir qui doit nous réunir, en tant que groupe de pratiquants. Le renoncement fait partie des possibles, et sa possibilité est évoquée et partagée. Nous pouvons à présent attaquer la montée.
Là-haut, au niveau de la longue traversée vallonée qui mène à cette fameuse pente terminale, nous sommes bientôt pris dans un épais brouillard. La trace a été faite. Mais ce n’est pas une élément qui doit participer à la décision de s’y engager ou pas. Jamais. Je n’ai aucun recul sur ce manteau neigeux, et pour prendre une décision circonstancée, je veux en avoir le coeur net. Pour cela, rien de mieux qu’une coupe du manteau neigeux, pour en évaluer sa composition. Un trou d’1,60m de profondeur, ça réchauffe. Quelle homogénéité, et quelles accumulations ! Là où je creuse, il y a plus de 5m de neige accumulée. Je ne parviens à toucher le sol avec ma sonde. Pas de couche fragile à cet endroit là, me voilà rassuré, nous pouvons continuer. Même si, comme toujours, le doute doit rester présent, car il stimule l’attention aux évènements qui peuvent avoir cours : mouvement suspect du manteau neigeux, craquements, whouuff, coulées de surface… Tous ces éléments, qui, si ils surviennent, sont directement mis en relation avec le BERA du jour.
Même si la coupe de neige m’a grandement rassuré, cela ne signifie pas que le manteau est en tous points homogène. Alors, première précaution du ski en groupe, nous prenons des distances entre nous. La visibilité est très mauvaise, et l’ambiance garantie ! Aucune vue, mais cette sensation de se retrouver seul là-haut, enveloppé dans un épais brouillard en est une compensation.
Bientôt le sommet, où plutôt le pied du fauteuil. Nous nous engageons à pied dans la courte mais raide pente de neige qui nous surplombe, et qui permet de rallier la petite échelle métallique qui permet l’accès au point culminant. La neige est très dure, les traces sont mauvaises. Échange avec mes compagnons du jour, qui rapidement s’en rendent compte, et qui bientôt décident derechef de faire demi tour. Sage décision, détachée de l’égo, je les en félicite. L’alchimie fonctionne bien, le groupe est raccord sur la manière d’aborder la montagne, et cet élément qui conserve sans cesse une part de mystère : la neige.
Thé chaud, photos, embrassades, tout le monde est ravi. Le « meilleur » nous attend. Attentifs dans la pente sommitale, notamment en raison de la mauvaise visibilité, je me relâche assez rapidement lorsque nous passons en partie sous le nuage. En partie, car la visibilité reste médiocre. Je me retrouve bientôt le cul posé dans la neige, après une cabriole digne des grandes heures des cours de gym. Aucune douleur, mais un beau front Flip. Je me retourne, et vois le petit talweg. J’y ai planté les skis, stoppé net ! Les clients, non sans rire de la piètre prestation « skilistique » de leur guide me rejoignent : « mais ton ski, il n’est pas un peu tordu ? ». Effectivement…!
Bilan des courses : un ski cassé net, un collier de chaussure explosé, et une descente qui s’annonce longue mais particulièrement ingénieuse. Luge sur un ski, luge sans ski, mono-ski… je crois que la sérendipité n’a pas fonctionné ce coup ci, et que je préfère encore l’équilibre que procure deux skis !
Et heureusement que mon matériel a cédé... avant mes genoux !
Tout ces efforts s’oublient rapidement autour d’une bonne bière partagée