Du 15 mars 2019 au 29 mars 2019, nous sommes partis explorer cette île du Groenland qui, en hiver, est prise entièrement dans la banquise, le Groenland ce n’est ni la Norvège, ni l’Islande mais bien une terre sauvage où l’homme n’a pas encore imposé ses artifices à la nature.
Il suffit de passer quelques temps là-bas pour se rendre compte que rien n’y est facile car nous sommes à la merci des éléments : neige, tempête et grand froid sont les maîtres de ce continent gelé, un des derniers sanctuaires de l’arctique.
Atterrissage sportif chez Nanoq : Angmagssalik
Nous voilà donc la fine équipe : Nico, Jean-Mi (Nico aussi mais surnommé Jean-mi pour l’occasion), Clémentine et Manu catapultés à grands coups de turbine au Groenland. La courte escale en Islande nous laissera peu de temps pour profiter d’un confort que nous ne retrouverons que 2 semaines plus tard.
L’arrivée à l’aérodrome de Kulusuk est spectaculaire, nous survolons la banquise et d’énormes icebergs au rythme des lacets du Bi propulseur à hélices duquel nous pouvons sentir le pilotage très sportif de son capitaine.
Ça y est nous y sommes, les deux pieds dans la neige avec nos 200 kg de matériel, accueillis par Rich qui sera notre routeur pour tout ce séjour. Malheureusement, il manque des bagages… Nous allons donc devoir patienter un peu dans ce bourg de Kulusuk - petit village de chasseurs de la côte Est du Groenland.
Ici pas de réseau 3G, pas de bar, pas de supermarché, pas de distraction occidentale… juste quelques habitations dont une épicerie locale, un hôtel et quelques artisans et chasseurs.
L’attente de nos bagages nous permettra de préparer le matériel, mais aussi de nous familiariser avec les artifices de défenses contre les Nanoqs…
Ici, le roi des lieux c’est Nanoq, le gros nounours blanc, il a l’air bien sympathique vu de loin, sauf que bon nombre d’accidents sont à déplorer dû à un manque de précaution de certains touristes naïfs.
Nous apprenons à installer des « Trip Wire » autour de notre camp de base, sorte de système de mine anti-personnelle pour ours qui envoie un superbe feu d’artifice sensé lui faire peur lorsqu’il traversera le périmètre de sécurité, en plus des fusées stylos et du fusil gros calibre que l’on sort en dernier recourt.
Il faut dire que la bête pèse plus de 500 kg, et court à 30 km/k. Si elle a faim ou qu’elle est en colère, elle peut attaquer. En général les rencontres se passent bien, mais mieux vaut se préparer au pire et donc à faire feu.
La météo capricieuse et difficile de l’arctique
On a déjà essuyé une tempête, heureusement nous étions bien au chaud dans un lodge tenu par nos amis guides, mais il va bien falloir partir en vadrouille découvrir ce beau pays.
Préparatif du matériel pour partir une dizaine de jours en autonomie totale, ici pas de refuge gardé mais juste de petites cabanes, sinon pour le reste il faut monter un camp de base au pied de la montagne.
Pour transporter tout ce matériel, il nous faudra tout répartir dans des pulkas que nous trainerons derrière nous.
Donnée essentielle pour ce raid : la météo. On a vite compris qu’elle n’allait pas être de notre côté et qu’elle était bien capricieuse. Le spectacle de la nature est un émerveillement lorsqu’il fait beau, mais lorsque le mauvais temps se lève mieux vaut ne pas être dehors.
Le vent le plus violent est le « Piterak » c’est un vent catabatiquequi a une force incroyable pouvant aller jusqu’à 150 km/h, autant dire que tous les éléments sont réunis pour nous faciliter la tâche !
Guillo notre chauffeur de snowbile nous tracte au moyen d’une corde le long de la banquise sur 8 km pour rejoindre les premières pentes, la météo n’est pas bonne et nous devons rejoindre la cabane pour y passer la nuit. Après quelques heures dans le brouillard et sous la neige, nous bénéficions d’une éclaircie miraculeuse qui nous permettra de passer un col pour enfin rejoindre une autre équipe de « musher » à la cabane de Aqertertuluk au bord d’un immense fjord gelé. Là encore, la météo ne nous laisse qu’un court répit puisque le lendemain la température passe à -29 °c avec 55 km/h de vent du NE….après une courte tentative au milieu de plaque à vent nous décidons de faire une petite reconnaissance sur la banquise qui s’avère aussi glaciale, nous nous rendons vite compte que le froid est intenable et qu’il faut retourner à la cabane se mettre à l’abri sinon nous allons geler sur place.
La banquise, une expérience polaire sur les traces des aventuriers du grand nord.
Après une nuit magnifique à contempler une belle aurore boréale dans un froid glacial, la météo du lendemain ne s’annonce pas meilleure, nous devons rester une seconde nuit dans cette cabane…. Nous tuons le temps en jouant aux cartes, le Uno deviendra notre préféré.
Le lendemain nous pouvons enfin décoller de notre résidence secondaire afin de prendre pied sur la banquise, j’avoue que le passage de la terre ferme à la banquise s’avère parfois « flippant » : ça craque, de l’eau sort de quelques trous et les glaçons flottent, nous nous familiarisons doucement avec ce nouvel art Inuit qui se compare un peu au franchissement de rimaye scabreuse dans les Alpes !
Ca tire sur les épaules, nous voilà partis avec nos Pulkas direction un autre fjord à quelques 8km de là, l’idée c’est d’y passer quelques nuits avant de se faire récupérer en bateau pour aller rejoindre une zone inexplorée mais ce plan est bien tributaire de la météo.
Entre jour blanc et éclairci après 3h40 de tractage nous arrivons enfin dans cette vallée, nous y installons notre campement : la tente messe nous servira à stocker notre matériel, prendre nos repas et jouer aux cartes ; les autres tentes sont installées à quelques 50 m de cette tente, sorte de zone neutre uniquement pour dormir et ne pas se mélanger aux odeurs de nourriture qui peuvent attirer les ours polaires dont l’odorat est super puissant.
Après chaque repas nous rangeons toute notre nourriture sans exception entre 2 pulkas sanglées entre elles formant une sorte de gros bonbon au fond d’un trou de neige à 30 m du camp.
C’est ainsi que l’on prend un maximum de précaution contre le gros Nanoq.
La nuit est glaciale mais magnifique, quelle expérience extraordinaire de vivre quelques jours coupés du monde sur une terre si sauvage !
Notre camp de base nous permettra d’accéder à de magnifiques pentes glaciaires, nous profiterons d’une journée somptueuse avec des paysages arctiques à couper le souffle. Depuis les sommets nous apercevons la banquise, les icebergs mais aussi d’autres vallées et massifs dont l’accès semble impossible sans moyen mécanique.
« Big storm » Grosse tempête, fuire avant le déluge
Rich notre routeur nous annonce l’arrivée imminente d’une énorme tempête le lendemain dans l’après-midi, nous sommes surpris par cette nouvelle qui va perturber considérablement nos plans pour la suite. Il est clairement impossible que nous poursuivions notre périple comme prévu, la prévision est claire : neige forte et vent à 100 km/h, autant dire qu’il est préférable de se trouver un abri solide et au chaud !
Nous voilà donc parti en mode démontage du camp du base à 4H00 du matin, tout notre village à démonter en quelques heures d’autant plus que nous devons rejoindre Lars Bianco Hut, une cabane rudimentaire mais offrant le confort nécessaire pour passer le déluge à l’abri. Guillo nous récupère nos pulkas avec sa moto neige tandis que nous traversons de l’autre côté du massif par le grand glacier Apusiajik.
Dommage pour nous le vent a formé d’horribles crêtes de coq, le ski s’apparente plus à du trial qu’à de la glisse, la fin du glacier vêlant sur la banquise est spectaculaire. Nous descendons jusqu’à la banquise et nous arrivons bien avant la tempête à notre cabane de chasseurs où nous pourrons enfin faire sécher nos affaires.
Le vent monte peu à peu en puissance pour atteindre son apogée la nuit suivante, nous passons toute la journée enfermés à jouer aux cartes et s’hydrater de « cup of tea ». Aller aux toilettes relève déjà de l’exploit tant le vent est puissant, il atteindra 101 km/h dans la nuit. Nous comprenons que les « storms » sont redoutables au Groenland, mieux vaut rester bien au chaud.
Retour au beau temps enfin
Au petit matin la météo est enfin bonne, nous pouvons accéder aux glaciers et combes avec prudence, le vent a formé des plaques dans les creux sous le vent et a soufflé la neige jusqu’à la glace dans les pentes raides… La skiabilité est aléatoire et changeante d’un versant à l’autre, nous restons prudents face à ces conditions qui peuvent être piégeuses.
Nous décidons de basculer de l’autre côté du glacier convoité afin de visiter un versant qui semble se jeter sur la banquise, il faudra néanmoins s’enfiler dans un couloir où se sont entassées de grosses accumulations. Leur stabilité semble bonne, nous utilisons les rives pour évoluer et pousser la neige, mais en raison d’une luminosité réduite par la couverture nuageuse, il est difficile d’apprécier le relief à 100 %.
Nous mettons à profit cette journée pour rallonger notre circuit en tentant des pentes plus raides, mais nous nous retrouvons rapidement sur la glace bleu vitrifiée… Finalement nous retournons à la cabane en fin d’après-midi pour contempler un magnifique couché de soleil pour achever cette belle journée riche en découverte.
Nous entendons malgré tout un coup de feu et apercevons un rassemblement de motoneiges et chiens de traineau sans y prêter une grosse attention…
Retour au bercail sur les traces de Nanoq
Le matin du dernier jour nous finissons notre journée en apothéose, la journée s’annonce belle et radieuse, les températures sont printanières (pour le Groenland).
Nous partons le matin pour skier un glacier que nous avons déjà parcouru les premiers jours, la neige est bonne, nous atteignons le sommet en 2 heures, nous sommes au point culminant avec un panorama à 360 ° sur l’île. Nous prenons conscience de l’immensité de cette côte Est du Groenland qui reste sauvage et très peu parcourue par l’homme.
Nous profitons quelques minutes de ce paysage, de cette ambiance et de cette atmosphère arctique avant d’entamer notre dernière descente.
Nous rejoignons la cabane en quelques minutes où Guillo viendra nous récupérer pour nous retracter jusqu’à Kulusuk.
Après 12 jours, il est temps de quitter ces lieux avec l’amertume de ne pas avoir eu les conditions idéales pour le ski, mais d’avoir quand même vécu une expérience privilégiée.
Guillo traverse parfois la banquise avec sa moto neige, il faut faire attention de ne pas se mouiller, soudain la moto neige fait un crochet vers un renfoncement où l’on distingue une énorme marre de sang.
Guillo: « Nanoq, 1 km from your home »
« Kill yesterday”
« Big male »
« Not far away from your home , oh my god “
Nous venons de faire le rapprochement avec les coups de feu entendu la veille, et l’agitation.
Les chasseurs avaient vu à la jumelle depuis le village que l’ours traversait en notre direction, ils se sont empressés pour venir le tuer.
Les habitants de Kulusuk vivent essentiellement de la chasse et de la pêche, ils ont un quota de 20 ours polaires par an qu’ils peuvent chasser à des fins alimentaires et de survie.
C’est certes triste de voir que cette espèce en voie d’extinction est ainsi chassée, mais combien d’espèces tuons-nous indirectement avec notre mode de vie occidentale ?
Nous sommes impressionnés par la taille des traces faites par les pattes dans la neige, impression encore plus exacerbée lorsque nous verrons au village la taille du spécimen exposé tel un trophée par les chausseurs : la viande est partagée entre chasseurs, la peau appartiendra à celui qui a vu l’ours. Il permettra de subvenir aux besoins de nombreuses familles pendant des mois.
Il est temps pour nous de repartir au pays… un dernier tour dans le village de Kulusuk, une dernière contemplation des montagnes inaccessibles, et nous voilà à nouveau dans l’avion qui survole les lieux. Nous regardons par le hublot le Groenland s’éloigner, la banquise disparaitre pour laisser place au bleu de l’océan atlantique.
Remerciements :
L’équipe de choc : Emmanuel Gondras, Clémentine Emery, Nicolas Buchillet, Nicolas Adeline.
Matt Spenceley, Rich Manterfield, Teresa, Hellen pour leur accueil au Lodege de Kulusuk base avancé de notre expédition, et pour tous leurs conseils.
Guillo et tous les locaux pour leur aide
Photos, voyage , texte et organisation par Jérémy JANODY du Bureau des Guides d'Annecy.